Erri de Luca : la plume et le piolet
Sur la trace de Nives
Erri De Luca
Gallimard, édité en 2006
13.90 euros en librairie
Une femme et un homme se retrouvent sous une tente, quelque part sur un sommet en Himalaya. De cette nuit d’insomnie, ils engagent une conversation, sur leurs souvenirs d’ascensions, leur parcours et… la bible, pendant que dehors la tempête fait rage. Cette femme, c’est Nives Meroi, célèbre alpiniste italienne partie à la quête des quatorze huit mille de la planète.
A côte d’elle a pris place Erri De Luca, écrivain, alpiniste, mais surtout napolitain aux mille vies. Né à Naples en 1950, il était destiné à une carrière de diplomate, avant de basculer dans l’extrême gauche italienne, puis de devenir ouvrier chez Fiat, maçon en France et en Afrique, conducteur de poids lourds pour une ONG pendant la guerre de Yougoslavie, et surtout écrivain. Il a notamment écrit « Montedidio, un très beau roman sur le bouillonnement de sa ville natale.
Erri De Luca grimpe aussi, plutôt bien, en falaise (en 2002, il a été le premier homme de plus de 50 ans à réaliser un 8B+), et explore les sommets en Himalaya.
Et c’est pourquoi « Sur la trace de Nives », est abordé dans cette rubrique « livres de montagne ». Leur dialogue presque imaginaire est certainement tiré de l’expédition à laquelle a participé Erri De Luca, en 2004 au Lothse, avec six autres alpinistes italiens. Erri De Luca n’est pas un alpiniste qui écrit, mais un écrivain qui grimpe, spécimen rare dans l’univers de la littérature alpine. Sa conversation – presque imaginaire – avec Nives Meroi, dans un lieu insolite, suit les récits d’altitude des deux alpinistes pour mieux s’en éloigner et prendre de la hauteur.
Leur dialogue n’est pas une discussion de comptoir de plus, sur de douteuses philosophies de l’extrême, ou des considérations mystiques pour alpiniste en mal de repère, ni un message au symbolisme suspect. En montagne, après quel trésor invisible court-on au risque de sa vie ? Cette discussion avec Nives est surtout l’occasion pour Erri De Luca de revenir sur son parcours, son écriture et sa conception de l’alpinisme : en montagne, l’homme est un intru. L’alpiniste ne doit surtout pas déranger les lieux.
Il y a de la poésie dans cette rencontre, notamment au début, quand il décrit une ascension nocturne : « Dans les nuits sans lune, on monte comme des voleurs, en cachette, pour cambrioler l’étage supérieur. Nous nous cramponnons à l’enduit frais de la neige, nous avançons en essayant de ne pas faire de bruit pour ne pas réveiller le maître de maison ».
Le passage où Erri De Luca compare l’écriture avec l’alpinisme est aussi à lire. Page 41 : « En tant qu’écrivain, je ne tombe pas sur du papier complètement blanc. Avant de commencer, j’ai une amorce déjà prête, à suivre, j’ai un sentier, même s’il n’est pas tracé (…). Toi, tu peux trouver la neige déjà écrite, suivre une trace déjà battue, celui qui écrit des histoires doit toujours être sur de la neige fraîche ».
Un peu plus loin, page 43, une phrase attribuée à Nives est à méditer, avant de partir crapahuter : « en montagne, tu es à l’air libre, plus libre que ça c’est impossible et alors tu dois être libre, gaie, émue par la chance de te trouver là, de porter ton poids dans la montée, décidée et étudiée pendant les soirées d’hiver ». A travers du plaisir d’être en montagne, c’est surtout de sagesse dont-il s’agit.
Celle que l’on acquiert à travers ses ascensions. Gravir, c’est avancer en connaissance.