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Aventuralpines

Une longue journée au Sirac par l'arête Nord

14 Juillet 2020, 09:39am

Publié par Aventuralpines

La vue de l'arête Nord depuis le refuge de Vallonpierre

La vue de l'arête Nord depuis le refuge de Vallonpierre

Depuis la brèche sous le Banc des Aiguilles, je remonte l'arête Nord du Sirac consciencieusement en me remémorant le topo et lisant la roche pour y trouver le meilleur chemin. Je suis plongé dans l'ambiance sauvage et silencieuse de cette immense masse de pierres et de neige depuis 2 heures, quand brusquement  ma méditation est brisée par d'horribles sifflements. Ils se font entendre au dessus de nous et se rapprochent à grande vitesse.

Mauvais signe ! Ce bruit, je le reconnais...

J'ai juste le temps de lever la tête pour voir arriver vers nous plusieurs (très grosses) pierres, à droite, à gauche, au milieu... Pas le choix, on va se prendre de la mitraille ! Heureusement j'ai le temps d'alerter mon compagnon de cordée et de faire deux pas en arrière. Un surplomb accueillant est là pour me protéger. Les projectiles explosent à quelques mètres, dans un fracas du diable. D'autres filent directement dans la face Nord, côté Vallonpierre. Des éclats sautent non loin de nous et de la corde. On sent la poudre et on ressent la peur, celle qui t'alerte de faire gaffe aux éclats, aux cailloux qui peuvent rebondir dans ta gueule. Le coeur s'emballe. Les secondes défilent comme des minutes.

Puis les pierres qui ont été décrochées par une cordée plus haut, poursuivent leur vol plus bas, pour se perdre dans la vide, quittant notre univers comme elles y sont entrées... C'est terminé. La montagne retrouve son calme, sa quiétude.

Vite vérifier que tout va bien. Se rassurer et surtout se persuader qu'on ne revivra plus ce type de mésaventure. Et continuer, reprendre la route du sommet...

Les dalles moutonnées de l'attaque

Les dalles moutonnées de l'attaque

Depuis 4 heures du matin, je partage avec mon compagnon de cordée une trés belle aventure en montagne, tout au Sud des Ecrins. Elle a commencé dans la salle à manger de Vallonpierre.

Après une nuit en bivouac au dessus du refuge, nous prenons le petit déjeuner avec les deux autres cordées candidates à l'arête Nord du Sirac. Dehors la nuit est étoilée et noire. Pas de vent. Des nuages sont annoncés pour le milieu de la journée, mais sans risque d'orage. Tout le monde est en forme. Les conditions sont réunies pour une belle virée en montagne. Il suffit simplement de vivre l'instant présent et de profiter de la longue journée qui commence. Nous sommes des privilégies.

Départ à la frontale et en silence, presque comme une procession. On s'approche religieusement de cette masse rocheuse noire et triangulaire qui se dessine entre les étoiles encore illuminées.

Notre aventure commence par la remontée du névé en crampons. Il conduit sous les premières dalles rocheuses, à franchir de nuit à corde tendue, ou même sans corde. Aucune difficulté ici, ou presque. Il suffit de rester concentré.

Le jour se lève quand nous devons attaquer un deuxième névé, qui conduit à la première longueur en IV. Un vieux piton est bien là, un peu plus haut on trouve un spit qui permet de s'assurer correctement dans le pas. C'est simple : c'est comme écrit dans le topo que l'on a révisé et appris par cœur, hier soir avant de s'endormir.

Indiqué comme "la" difficulté de la voie, je l'ai trouvée simple à franchir par rapport à d'autres passages, plus haut dans la voie et plus engagés. En tout cas, on peut bien se protéger.

Le névé juste sous le pas de IV+

Le névé juste sous le pas de IV+

On a franchi la brèche et passé de l'ombre à la lumière. Nous voilà maintenant sur l'arête Nord, accueillis par le ciel bleu et soleil des Alpes du Sud, avec en prime une très belle vue sur les sommets et hauts vallons du Valgaudemar. L'ambiance est sauvage, la montagne impressionnante par son côté immense, minéral et silencieux. Pas de doute, nous sommes dans les Ecrins. Presque au paradis.

C'est le moment de remonter les fameuses dalles moutonnées, debout en équilibre, à jouer avec l'adhérence des semelles, ou quelquefois penché, une main à la recherche d'une prise. J'ai bien aimé ce passage, même s'il n'y avait aucun aspect technique ou engagé.

Les roches moutonnées de l'arête Nord aprés la brèche

Les roches moutonnées de l'arête Nord aprés la brèche

C'est un peu plus haut que les choses sérieuses commencent. On comprend, en regardant cette longue face Nord, que la journée sera longue, belle et qu'elle laissera des traces dans le corps et la mémoire. Même à corde tendue, en essayant de jouer avec les protections naturelles, en mettant peu de points, le paysage défile lentement. Le souffle se fait plus court au fur et à mesure que l'on monte rejoindre les 3 400 mètres du sommet.

Les deux autres cordées, plus rapides, sont loin devant. Nous nous retrouvons maintenant seuls avec le Sirac, son souffle, son silence, son histoire (première ascension en 1877 par Coolidge et les Almer père et fils) et sa masse rocheuse qui nous écrase et nous avale.

Le soleil se lève sur l'arête Nord

Le soleil se lève sur l'arête Nord

Au dessus, nous essayons d'aller chercher le plus de passages "grimpables", quitte à perdre du temps. Quand le rocher est bon, cette arête Nord du Sirac réserve de belles surprises. Quand il est moins bon, c'est un gros cairn, avec des tas de pierres qui ne demandent qu'à tomber sur le grimpeur en contrebas..

Dans l'arête Nord

Dans l'arête Nord

Mais qu'est ce que c'est beau.. 1 000 mètres de grimpe depuis l'attaque de la voie, on a le temps d'apprécier. C'est ce que je me dis au moment où les nuages s'approchent, accrochent les sommets du côté des Rouies, puis des Bans et du Pic Bonvoisin. Puis, sans prévenir, ils nous avalent dans l'humidité, le blanc et le silence. Nous sommes plongés dans le brouillard, isolés du reste du monde, seuls dans cette montagne, au moment d'attaquer l'arête finale. J'adore !

Peu de difficulté technique ici, mais que l'escalade est belle. Elle se fait entre le névé sommital de la face N.E et le vide du côté de Vallonpierre, que l'on devine entre deux nuages. J'ai adoré ce passage, à avancer entre deux bloc, à corde tendue et entre deux souffles. L'attitude se fait sentir.

L'arête sommitale, avec le névé du haut
L'arête sommitale, avec le névé du haut

L'arête sommitale, avec le névé du haut

Nous sortons au sommet, dans un brouillard à coupé au couteau, un peu désorientés par l'altitude, l'émotion d'être là et cette purée de poids qui nous avale. On devine à peine la longue arête Est. On ne voit pas celle Sud. On ne voit plus la terre. Où est-on ? C'est comme si le sommet était devenu une île, suspendue dans les nuages. Mais par où descendre ?

L'espace de quelques secondes je me demande si la montagne nous laissera partir... La bonne nouvelle : il y a des emplacements de bivouac. La mauvaise : il faut redescendre, demain matin notre vie au bureau reprend... On sort même la boussole et la carte pour se réorienter, c'est dire...

Dommage pour la vue. Mais nous avons trouvé la sortie. Nous entamons la descente par la voie normal, dite "paumatoire", mais que j'ai trouvée évidente et plutôt bien décrite sur Camp-to-Camp.

Dans la descente avant de passer côté glacier de Vallonpierre

Dans la descente avant de passer côté glacier de Vallonpierre

La montée était longe, la descente l'est tout autant.. Elle permet de rester un peu plus sur cette montagne et de découvrir son versant Sud, côté Champsaur. Le plafond nuageux se relève un peu et nous laisse apercevoir, au loin le Viso, un peu plus proche le sommet du Drouvet et la station d'Orcières. C'est amusant : le Sirac était notre plan B. Le plan A était l'arête Est du Viso, mais la météo en a décidé autrement...

Retour au refuge de Vallonpierre, à l'heure du repas. On a faim, mais nous avons juste le temps d'y prendre un verre, de refaire nos sacs, puis de redescendre dans la vallée, en espérant arriver à la route juste avant la nuit...

J'ai trouvé que cette arête Nord du Sirac avait tout d'une grande. Un "petit" Viso dans les Alpes du Sud, dans nos Ecrins. Vraiment un beau sommet, sauvage, immense, pour ceux qui aiment les grandes bambées interminables. Parce que quand on est enfin arrivé au refuge, il fait encore redescendre dans la vallée.

Le Sirac ne se quitte pas facilement...

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